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Et pourtant elles sont belles…

Alice Ernoult

Le billet d'humeur d'Alice Ernoult, présidente de l'APMEP, qui dit sa déception après les dernières annonces sur la réforme des lycées.

Le début de l’année 2018 a été dense en annonces, rapports et communications concernant l’enseignement en général et celui des mathématiques en particulier : rapport de P. Mathiot sur le baccalauréat remis le 24 janvier, rapport « 21 mesures pour l’enseignement des mathématiques » piloté par C. Villani et C. Torossian le 12 février, présentation de la réforme du lycée général et technologique par J.-M. Blanquer le 14 février, rapport sur la voie professionnelle scolaire piloté par R. Marcon et C. Calvez le 22 février… Un an plus tard, l’enthousiasme généré par le rapport « Villani–Torossian » est entamé par les contraintes structurelles imposées par les réformes des lycées. Parviendrons-nous, collectivement, à dépasser les obstacles qui se dressent sur la route de l’enseignement des mathématiques ?

L’absence de mathématiques dans le tronc commun de première et terminale générales fait grand bruit, on devrait s’inquiéter tout autant de la baisse drastique de l’horaire de mathématiques dans la voie professionnelle. Demandons-nous pourquoi cela nous paraît si essentiel que toutes les lycéennes et tous les lycéens étudient les mathématiques. Pourquoi ne reconnaissons-nous pas que le programme pour l’enseignement scientifique de la voie générale offre une occasion d’apprentissage des mathématiques ? N’est-ce pas parce qu’à aucun moment il n’y est véritablement question de la construction d’objets mathématiques ? Que la notion de démonstration n’est jamais mentionnée ? Que nous n’y reconnaissons pas les savoirs et savoir-faire que nous savons (ou pensons) utiles pour les poursuites d’études ? Les raisons peuvent varier d’une personne à l’autre. Pour ma part, je regrette profondément que la place des mathématiques dans le tronc commun soit cantonnée aux liens qu’elles ont avec les sciences. Un enseignement spécifique de mathématiques nous aurait permis d’envisager d’avoir le « souci des interactions possibles ». Quel rapport entre les langues naturelles et le langage mathématique ? Pourquoi les mathématiques sont-elles source d’inspiration pour des artistes ? Quelles sont les limites des modèles mathématiques utilisés en sciences sociales ? La mathématisation d’une discipline atteste-t-elle de sa scientificité ? Autant de questions qui resteront sans réponse, que les lycéens n’auront pas l’occasion d’éprouver, en tout cas pas du point de vue des mathématiques.

Toutes ces questions sont aussi pour moi l’expression d’une frustration personnelle et professionnelle. J’ai choisi d’enseigner les mathématiques pour diverses raisons parmi lesquelles il y a le plaisir que j’éprouve à faire moi-même des mathématiques. Enseigner les mathématiques m’oblige à comprendre les concepts que j’enseigne plus profondément que je ne l’ai fait pendant mes études. La diversité des programmes et des profils d’élèves à qui l’on doit s’adresser enrichit notre propre réflexion, nous oblige à garder des points de vue variés sur notre discipline. Que restera-t-il de cette richesse ? Un collègue m’a fait remarquer aujourd’hui, qu’avant 2008, il y avait au lycée général un peu moins de 10 programmes à enseigner. Il y en a déjà beaucoup moins aujourd’hui, mais la réforme du lycée général et technologique appauvrit encore plus le paysage des mathématiques scolaires. Je ne doute pas que des enseignants trouveront des moyens d’enrichir leur enseignement, de favoriser les rencontres entre mathématiques et langues, littérature, philosophie, géographie, SES, histoire … mais cela restera marginal, occasionnel et peu valorisé. N’est-ce pas contradictoire avec la volonté affirmée par la mission Villani–Torossian (dont je suis membre) de rapprocher enseignants et chercheurs dans un souci de développement professionnel ? 

Retrouver l’intégralité de ce texte dans Au Fil des Maths - le bulletin de l’APMEP n°531.