La présence simultanée de ce qu’on dit être l’ « abstrait » et le « concret » en mathématiques est au cœur des recherches et de la démarche d’enseignement de Stella Baruk, puisque, dit-elle, l’un comme l’autre coexistent dans la langue, donc dans l’aptitude des enfants à penser. Morceaux choisis.
L’abstraction et l’enfant
« Il faut avoir une certitude en béton : si un enfant est capable de distinguer un train d’un autobus, de fermer la porte si on le lui demande, et de raconter ce qu’il a fait à la récréation, il est susceptible de manier de l’abstraction puisqu’il la manie déjà, et donc apte à faire “des mathématiques”. Il faut donc proscrire tout soupçon d’inaptitude, soupçon qui équivaut à un poison qu’on inoculerait à un enfant, et qui petit à petit le paralyserait au point de justifier ce qu’on croira alors être un jugement pertinent. »
« Tout ce qu’on pourra dire de l’intelligence d’un enfant ne renverra qu’à l’intelligibilité de ce qui lui aura été proposé. »
Abstrait / concret, faux problèmes, vrais dégâts
Les importantes distinctions entre « nombre », idéalité mathématique, et « nombre-de », expression d’une quantité, précèdent les citations qui suivent.
« Si on devait se fonder sur la distinction établie en 1746 par Étienne Bézout (1730―1783) dans ses Éléments d’arithmétique, entre nombres concrets et nombres abstraits on devrait penser que “trois cent quarante-sept personnes” c’est concret, et “trois cent quarante-sept” tout seul est abstrait ; que “un million trois cent cinquante-quatre mille sept cent quarante-huit grains de sable”, c’est concret, et que “un million trois cent cinquante-quatre mille sept cent quarante-huit” est abstrait. On voit rapidement que cette distinction est vraiment inadéquate. »
« Ce qui, donc, est abstrait, c’est ce dont on n’a pas idée, parce que c’est hors de son champ habituel de pratique ou de pensée ou des deux ; ce qui est concret c’est ce dont on a soit l’habitude, soit la proximité, soit le savoir, soit la représentation : de ce point de vue, il faut bien comprendre que pour “ceux qui savent”, est tout aussi concret que 5, la représentation de l’un comme de l’autre étant tout aussi aisée : nous en connaissons plusieurs pour 5 ; et pour , il suffit de construire un triangle rectangle dont les côtés de l’angle droit ont respectivement 1 et 2 unités de longueur. »
« Il est amusant de voir que, aussitôt que l’on cherche à se représenter des nombres très grands – ou très petits – à travers des nombres-de, on tombe généralement sur des “images inimaginables”, ou au moins, qui surprennent, et qui le plus souvent sont tout aussi abstraites que ce qu’elles essaient de concrétiser. »
« En réalité, on l’a vu, c’est le “concret” dont on n’a aucune idée qui est ‘abstrait’, et l’“abstrait” dont on a l’habitude ou la pratique qui semble ‘concret’. L’important est de faire converger tous les éléments de sens qu’apportent le sensible, le représentable, l’imaginable, en cessant de diviser artificiellement le sentiment que l’on peut avoir du nombre en “concret” ou “abstrait”. »
RÉFÉRENCES
-Comptes pour petits et grands (Volume 1, Pour un apprentissage du nombre et de la numération fondé sur la langue et le sens). Stella Baruk. Magnard, 2021 pour la dernière édition. -Comptes pour petits et grands (Volume 2, Pour des problèmes, opérations et calculs fondés sur la langue et le sens). Stella Baruk. Magnard, 2021 pour la dernière édition.